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Aux Larmes Citoyens !




Je m’appelle Richard Noyer, en 2025 j’ai eu trente ans et je viens d’un petit village d’à peine mille âmes, perdu dans l’Ouest de la France, une région que l’on appelle les Mauges. Un panneau marron placé au bord de l’autoroute annonce fièrement : « Les usines à la campagne ». En effet, pendant des décennies, ma campagne a vécu au rythme des machines textiles, du cuir et de la chaussure, dont les ateliers s’animaient jour après jour, tissant une vie ouvrière intense et solidaire. Mais la mondialisation, brutale et rapide, est venue emporter tout cela avec elle : les usines ont fermé, et avec elles le boucher, le boulanger, le bar, la banque et le cinéma ont peu à peu disparu. Pourtant, malgré cette désolation apparente, la vie a continué, portée par des bénévoles qui œuvrent sans relâche pour faire battre le cœur des associations sportives, artistiques, sociales, incarnant à leur manière la résilience d’une France rurale que beaucoup ont oubliée, mais qui refuse de mourir. C’est cette France-là que je connais, celle d’une culture du travail acharné et de la famille soudée. C’est aussi un monde où l’on parle peu de ce qu’on ressent, où pleurer reste suspect, et où l’homme est sommé d’être fort, discret, efficace. Les inégalités hommes femmes sont présentes et si celles-ci choisissent de se consacrer uniquement à leur famille, elles peuvent être perçues comme moins légitime, comme si l’engagement domestique valait moins qu’un emploi salarié. Ici, la valeur d’une vie se mesure souvent au prisme du travail, et chaque geste semble pesé par le regard des autres. Des règles non dites dictent les comportements, sculptent les silences et étouffent parfois l’élan d’être soi.



Comme dans des millions de familles, j’ai grandi dans cet univers où l’amour se donne de façon silencieuse, héritage généalogique de familles aux émotions meurties par la guerre. J’ai donc à mon tour appris à masquer mes émotions, à ne pas montrer mes faiblesses, à adopter une posture qui corresponde aux attentes sociales. Dès mon enfance, j’ai compris qu’il fallait s’adapter, respecter un certain modèle d’homme fort, sans place pour le doute ou la vulnérabilité. 



À l’école, j’ai progressé rapidement, sautant une classe, mais même ce bond en avant précoce a je crois creusé de la distance entre moi et mes émotions. Pour m’intégrer avec les plus agés, j’ai appris à décoder les silences des autres tout en cachant les miens, convaincu que pour être reconnu, je devais m’adapter, lisser mes failles, éviter de troubler l’ordre établi. Au collège, mes rêves d’enfant se sont peu à peu estompés sous la pression des attentes sociales. 



Heureusement, plus tard, la vie m’a donné la chance de voyager, de rencontrer de nombreux profils et destins différents, ce qui a changé mon regard sur les émotions en m’incitant à revenir vers moi-même. Mais ce n’est seulement que depuis quelques années, que confronté aux épreuves, aux rencontres, aux amours, j’ai été poussé à écouter ce que je ressentais sans jugement, à accepter mes pleurs autant que mes rires. 



J’ai découvert que les larmes, loin d’être un signe de faiblesse, sont une force puissante, capable d’apaiser les tensions, de réguler nos émotions, de guérir nos blessures profondes. J’ai alors compris que cette intelligence émotionnelle est une nécessité fondamentale pour chacun d’entre nous et pour la société toute entière. Dans un monde qui pousse sans cesse à performer, connaître et accepter ses émotions devient indispensable pour éviter de passer à côté de sa vie en empruntant des faux parcours, empris de solitude et dénués d’épanouissement. Sans cette conscience intime, nous cherchons à combler un vide intérieur par des biens matériels, des relations superficielles, des identités fabriquées qui nous éloignent de nous-mêmes. Apprendre à nommer ce que l’on ressent, à embrasser nos fragilités, nous offre une liberté nouvelle, celle d’être pleinement nous-mêmes. 



J’ai constaté aussi que la violence sociale et intime, si présente dans nos vies, commence à s’estomper dès lors que les êtres se rencontrent avec respect, empathie et authenticité. J’ai vu aussi comment le lien entre hommes et femmes peut enfin s’équilibrer, lorsque chacun ose être lui-même, sans craindre le jugement ou la honte. Cette intelligence émotionnelle peut aussi aider beaucoup d’entre nous à renouer avec des métiers souvent dévalorisés, car elle nous détache du regard des autres. Cette compétence émotionnelle nous offre une énergie de créativité, de coopération et d'optimisme. 



Ainsi, je souhaite transmettre cet élan d’humanité, convaincu que dans la prochaine révolution industrielle portée par des technologies avancées, ce sont les qualités profondément humaines — la capacité à ressentir, comprendre et créer du lien — qui feront la différence. Ces compétences protègent notre humanité et construisent un avenir où l’intelligence artificielle ne sera jamais en concurrence avec nous mais un outil au service de nos valeurs. Tout doit commencer, selon moi, à l’école : non seulement par l’apprentissage des savoirs, mais aussi par l’enseignement de cette intelligence émotionnelle, indispensable pour former des citoyens complets, sensibles, capables de construire un avenir plus juste et solidaire. L’école est là pour lisser les différences sociologiques et l’intelligence émotionnelle est un de ses marqueurs les plus profonds. Je ne souhaite pas inciter les gens à changer, ou à coopérer, mais je souhaite inspirer. Je suis convaincu qu’une personne alignée, en paix avec elle-même, porte en elle naturellement une pensée collective, une volonté profonde d’agir pour le bien commun et donc les graines d’un changement écologique dont nous avons irrémédiablement besoin. Le changement est je  crois une conséquence naturelle au développement de l’intelligence émotionnelle. 



« Aux larmes citoyens ! » est un donc appel au courage : celui d’être soi-même, de ressentir, d’aimer, dans un monde qui nous enseigne trop souvent à nous taire. Je marche donc sur ce chemin d’humanité, persuadé que c’est en retrouvant cette force enfouie en chacun de nous que nous pourrons bâtir une société riche d’une monnaie qui ne se compte pas : l’amour.



Richard NOYER